Vautrin et Charlu

-Tom Vautrin
-Vautrin ?
-Oui, Vautrin. Tom. Tom Vautrin
-…
-Me regardez pas comme ça, je m’appelle Vautrin, c’est pas bien compliqué. Me regardez pas comme ça, ça m’gêne.
-Alors ça…Vautrin, vous vous appelez Vautrin. J’aurais jamais cru ça possible ? Vautrin.
-Ben oui
-Comme l’autre ? Vautrin comme l’autre ?
-Ben oui, Vautrin comme l’autre. Comme l’autre Vautrin.
-Et Vautrin de la famille Vautrin ?
-Oui Vautrin, je m’appelle Vautrin, de la famille Vautrin, Vautrin comme l’autre Vautrin, et maintenant…
-Vous énervez pas. C’est que c’est tout de même pas banal, vot’nom. Vous énervez pas, ça fait rêver. C’est tout de même un sacré bagnard, tout de même…vot’ Vautrin.
-Oh, je vous en prie, ça va pas recommencer. Vautrin, Vautrin
-Vous énervez pas. Je savais pas que ça vous mettrais dans cet état, de vous appeler comme ça. On n’en parle plus, si vous voulez.
-C’est ça, on en parle plus. N’en parlons plus. Bonne idée. Parlons d’autre chose.
-…
-…
-…tout de même, quand j’y repense, s’appeler Vautrin
-Ben oui, je l’aime bien, Vautrin, moi, j’ l’aime bien, mon nom. Mais des fois, c’est pas facile à porter, un nom de bagnard.
-Et même…
-Oui ?
-Non…Je sais pas si je peux
-…Dites toujours…Allez, dîtes, au lieu de me regarder comme ça
-Allez, je me lance.
-Oui, c’est ça, lancez vous
-Ben voilà : Vautrin, c’t’une sacrée tante, tout de même
-Ben alors vous…
-Sans vouloir vous offenser, n’empêche que voilà, hein…
-Une tante ?
-Oui, notez que c’est pas vot’faute, hein, vous y pouvez rien. Toujours est il…
-Z’êtes un drôle de gugusse, vous alors. Z’êtes sûr ?
-Ah oui, je suis sûr, j’ai bien regardé
-Ça me laisse songeur. C’t’une drôle de surprise, tout de même, y’a pas à dire. C’est pas grave, notez bien. je prends pas ça comme une offense. C’est juste comme une révélation ; juste comme quand on apprend quelque chose sur sa famille. Alors comme ça, l’arrière grand oncle…
-ben oui.
-Une tante ? C’est pour ça que Charlus l’aimait bien, alors ?
-Charlus ?
-Oui, Charlus. c’était un ami, un baron.
-Un baron ?
-Oui, un baron, vous allez pas remettre ça. Le baron de Charlus. On dit Charlu…
-Un baron ? Un vrai baron ? Un baron baron ?
-Oui, c’est ça, un baron baron.
-Et un de vos amis ?
-Oui, enfin, je crois. On n’est jamais sûr de ces trucs là, hein ? Moi, je l’aimais bien, en tous cas. Je l’aimais bien.
-Et le baron baron, là, vot’ Chalu…
-Charrrlu
-Charlu, il aimait bien vot’ grand oncle, le Vautrin, parce que c’était une tante ? Y vous l’a dit ? Y savait, pour Vautrin ?
-Non, non. Ou plutôt oui. Mais y me l’a pas dit. Pas comme ça. Y me l’a pas dit comme ça, je l’aime bien, ton grand oncle parce c’est une tante. Sûr qu’il me l’a pas dit comme ça, c’était pas le genre.. Mais bon, il en parlait tellement, de son ami Vautrin, que maintenant que vous me le dites…
-Et ça change tout ?
-Non non ça change pas tout. Ça change rien, je l’aime bien quand même. Je les aime bien quand même. C’était de drôle de bonzomes, tous les deux, et mêmes de grands bonzomes. des sacrés types, même. Et pour Vautrin, vous êtes sûr ?
-Formel
-…
-Demandez à vot’ Chalus, vous verrez
-Y’a un moment qu’on peut plus rien lui demander à Charlus. Je l’aimais bien, je l’aimais bien et pourtant l’était pas facile, c’est le moins qu’on puisse dire. Un sacré bonzome, même, et coléreux, avec ça, susceptible, très à cheval, voyez le genre, susceptible et coléreux. Maintenant que vous me le dîtes, il parlait très gentiment de son ami Vautrin. Ça me revient, maintenant, ces histoires de son ami Vautrin, des histoires de bouquet, je me souviens, des fleurs que le vieux Vautrin avait ramassées pour un jeune type, c’était touchant, cette histoire de bagnard qui cueille des fleurs. On racontait ça dans la famille, on racontait ça comme une bizarrerie, comme un geste d’excentrique, rien de plus, voyez, un excentrique qui compose des bouquets, Charlus parlait de ça avec tendresse, maintenant que vous me le dites, des bouquets de son vieil ami Vautrin.

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