tu écris le premier mouvement de ta sonate de l’empêchement et de l’expérience
tu t’appliques à sa partie Nocturne ce diminuendo qui lui tient lieu de final
mais tu sais que l’enfance doit rester une illumination profane
et alors alors au moment de composer ton mouvement lent tu te poses la question hein la bonne question comment rendre compte de ces transports de jeunesse de l’excitation qui te prenait alors comment en rendre compte maintenant lento diminuendo ma non troppo à la fin
mais tu sais que c’est par la nostalgie qu’on avance : tu élabores dans ce creuset de tristesse la couleur musicale de ta partition adagio con anima et ça n’empêche pas que ton vrai travail sera de laisser l’enfance vivante la sortir de la citadelle qu’avaient bâtie les parents la dégager de leurs récits blagues zéistoires
mais tu sais que le plus souvent le récit de l’enfance trouble plus que l’enfance et c’est heureux depuis le temps que tu patientes que tu attends que les deux histoires recollent tu as tant attendu
tu as compris que l’attente déçue est celle qui se réalise c’est le paradis
tu fais de cette certitude le coeur de ta sonate c’est alors le Petit matin tu as trouvé ton titre andante Petit matin affetuoso
tu es heureux tu attends c’est le paradis
mais soudain
soudain tu déchires tout sonate final mouvement lent tout tu déchires tout parce que ça ressemble à du Ravel tu viens de comprendre que merde merde merde c’est du Ravel encore du Ravel
merde merde merde c’est du Ravel je te dis que c’est du Ra-vel merde merde c’est encore l’enfance et ses sortilèges alors que non ce que tu avais en tête rien à voir c’était moins tenu plus relâché moins démonstratif c’était mieux oui mieux mieux que l’Enfant et les sortilèges plus conforme à l’enfance plus relâché et ennuyé plus attentif c’était mieux que du Ravel
raté c’est raté tu as raté ton mouvement lent raté ton nocturne c’est du ravel c’est raté
tu attends la nuit prochaine