méditation VI du 5 mars 2012

Arrivée par Ornano-Barbès-Mairie du XVIIIe. Mélancolie traînante depuis mon café, pris au Rêve, trop plein de jeunes gens qui parlent de production, de scénario, trentenaire mal rasés et agaçants, d’un genre qui me fout le bourdon, renforcé par la casse de la rue Doudeauville, où, vers le milieu de la rue, un pâté de maison a sauté : bruit incessant de marteau piqueur, ville creusée, nausée du façadisme. Déambulation très lente, ensuite, accordée à ce tumulte d’arrachement.
Puis, vers 10 heures et demie, au McDo de Marx Dormoy, pour un expresso et ’mandise’ et verre d’eau fraîche à 3€30. Une mandise est une sorte de muffin gras, fourré à la pâte de noisette : l’ensemble fait un casse-croûte très correct. Je suis très bien installé dans la salle du haut, dans une posture familière : ces fast-food du milieu de matinée, avant le coup de feu de midi qui me fera fuir, où je retrouve le confort et la paix des grandes brasseries d’avant, devenues inhospitalières, trop chères. D’ailleurs les clients du jour sont affairés. Au McDo on rencontre dans ces moments des femmes qui se maquillent, des lecteurs, une foule d’ordinateurs, des affairés en somme, des assidus qui viennent là parce que c’est possible et qu’on leur fout une paix studieuse. Au fond, une bosseuse à l’ordinateur, derrière moi deux jeunes gens répètent une leçon à partir d’un lexique que tient le jeune homme. Un vieil asiatique vient s’assoir à l’abri, au chaud, on voit bien qu’il vient se reposer, sans consommation, gratis, bonnet de laine et plutôt bien sapé.
Et voilà à quoi j’arrive ce matin là, à quoi je pense : il est temps de partir, mon vieux, c’est à dire : ‘partir de Paris’. Qu’est ce qui me reste en ville : ce carrefour Marx Dormoy et pas plus (peut-être aussi, un peu, cet ilôt du Xe arrondissement, entre Louis Blanc et Stalingrad, pas loin de mon vieux Lycée Colbert): le reste est enspéculé, inutilisable et rebutant. Et si, maintenant que mon père persiste à être mort, était venu le temps de me laisser emporter plus loin encore par cette dérive du ‘fils du peuple’, emporter ailleurs, par ce penchant pour les silhouettes populaires où je me reconnais complaisamment ?
Comme si j’avais besoin de cette trépidation populaire, mon seul talisman en ville, et qu’à Paris, ce n’était plus possible. Comme s’il était temps de mettre fin à ce curieux renversememt des motifs : me voilà au McDo où je n’ai rien à faire, dans ce quartier qui n’est pas le mien, dans une ville où je n’habite plus (ça fait beaucoup) pour la seule raison que ce paysage m’est, à force d’habitude recrée très volontairement -venir à Marx Dormoy- à force de dépaysement populacier, devenu familier et nécessaire, sans lequel par exemple je ne puis rien faire de fluide, de facile : le seul quartier où je coule de source ?
Et toujours en surplomb la petite humanité vive du métro, affairée autour de l’entrée du McDo et du kiosque qui se trouve là.

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