la dentelle est une paresse réussie

Retiré en Suisse à la fin de sa vie, Rousseau fait de la dentelle. Il s’est habitué à cette idée que le tricot est une paresse réussie et que la dentelle c’est : ne rien bouger. Son vieil ami Flaubert lui rend visite ; on dirait qu’il vient pour la leçon.

Flaubert : A quoi voulez vous que je me repose ?
Rousseau : Vous n’aimez pas le néant, ni ses à-côtés, ça se voit tout de suite. Et ça vous mine ; c’est même ça qui vous assaille et vous rend maussade, ça qui gâche vos romans ça qui ça qui…Prenez mon ami Tolstoï qui me recommande avec insistance, dans toutes ses lettres, de toujours être paresseux devant le mal (et vous savez qu’il met une majuscule à mal, ce vieux russe.) Profitez de ses conseils, Gustave : il est bien de ne rien faire, vous verrez… Je veux dire pour un bon chrétien, eh bien ne rien faire, c’est mieux.
Flaubert ne dit rien, il pense qu’on veut l’attirer dans cette sorte de religieuse conversation qu’il n’aime pas. C’est qu’il ne veux pas faire son salut, ce serait trop simple, non, c’est autre chose qui le tarabuste.
Silence attristé.
Rousseau soupire : Faire , délibérer, décider, tout ça m’épuisait, voyez-vous ; certaines figures de mon kharma sont trop liées à l’enchaînement des causes qui m’obligèrent à agir.
Gustave se lève, vadrouille dans le salon, puis se couche sur un sofa, bourre une pipe et enfile une paire de mule qui traînait là.
Flaubert : Moi, j’y connais rien : le contraire du karma, c’est le nirvana, à ce qu’on dit.
Rousseau montre qu’il ne sait que penser de tant d’ignorance. C’est plus compliqué que ça, mais il ne veut pas accabler Gustave au moment où celui-ci essaye de comprendre.
Un temps.
Rousseau : Et puis vous avez peut-être raison, dans un certain sens : quand on souffre de beaucoup de karma, on peut rêver, et postuler une sorte de nirvana, peeut-être. La paresse est alors un anéantissement. Et c’est ce qui vous mine, encore une fois, cette persepective d’un monde où on laisse faire.
Flaubert : Alors vous, vous avez choisi la dentelle ?
Rousseau : Ouioui, le tao nous enseigne de ne rien bouger. La dentelle c’est : ne rien bouger…
Flaubert : Ça se discute…
Rousseau : Bien sûr, ça se discute. Et même je me rends bien compte que, de nos jours, cette tranquille activité philosophique est discréditée.
Flaubert : M’en fiche. Je cherche à me reposer. Mais à quoi, crénom, à quoi ?
Un temps, que Flaubert occupe à grommeler en secouant la tête.
Rousseau : La dentelle ? C’est non ?
(…)
Rousseau : Vraiment ? Vraiment non ?
Flaubert : C’est non. La dentelle, je peux pas ; la dentelle, c’est non.
Rousseau : Alors vous allez avoir du mal. Je me demande si la paresse existe encore, pour nous autres, dans les grandes nations civilisées. Nous sommes devenus trop travailleurs, vous compris. Vous surtout.
Flaubert : Perdre son temps… Ah perdre son temps… Faire son salut en perdant son temps…vous m’en direz tant…
Il soupire bruyamment.
Perdre son temps…Mais à quoi…
L’autre rate une maille.

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