le préfet pendu

La place de l’Eglise a changé de nom, on l’appelle depuis peu : place du Préfet pendu. Voici pourquoi :
un enfant se trompait de chapeau à chaque promenade dans le village. Il prenait un chapeau de paille les jours de pluie et un chapeau de pluie les jours de grand soleil et ces sorte de chose en rapport avec les distractions enfantines. Mais il était ridicule, n’est-ce pas, et le village se moquait ; sa rancoeur grandissait. 
Or certains enfants malheureux vieillissent mal : celui-là devint préfet et fit interdire, les préfets peuvent le faire, qu’on possédât plus d’un chapeau. 
Ce fut une hécatombe : éternuements et névralgies pour ceux qui n’avaient conservé que leur chapeau de paille, on les enterra dès les premières semaines d’un hiver difficile, sans attendre ; congestions, suées, coups de chaleur pour les autres, qui moururent l’été d’après. Ils n’avaient préservé que leur plus lourds galurins. 
Les plus hautes autorités, d’abord troublées par les bouleversements statistiques qui commençaient de défigurer la région, en faire comme un désert si l’on veut, puis effrayées par l’accroissement formidable du nombre de morts dans le département-songez aux conséquences électorales!- exigèrent du jeune préfet qu’il revint au village, au moins pour s’expliquer. 
Il réunit les survivants à la salle des fêtes et s’engagea dans des raisonnements administratifs clairs et rassurants ; jamais il n’évoqua les vexations de son enfance. Il fit même d’audacieuses propositions qui prirent la forme d’un compromis remarquable impliquant l’achat de casquettes pour tous, des casquettes juste-milieu, rien de trop lourd, rien de trop léger. 
La réunion de la salle des fêtes s’est mal terminée : les enfants des morts ne voulurent rien entendre, les familles se fâchèrent : le préfet fut pris à partie par les plus vigoureux, les grands parents leur prêtèrent bientôt main forte. Les plus jeunes et les plus vieux, les plus malins et les plus vaillants : il était coincé. Il fut pendu à un réverbère de la place de l’Eglise. 
Voilà, vous savez maintenant que tout s’explique pour ce qui concerne la toponymie de nos villages, que les histoires de chapeaux finissent mal et que, toujours, le peuple gronde quand on attente à sa liberté.

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