Voilà de quoi on a peur, voilà de quoi était faite notre géographie superstitieuse : les arrière-salles de bistrots, c’est comme la forêt tropicale : les esprits s’y sont réfugiés et s’occupent d’offrir à notre mélancolie les histoires effrayantes et les souv’nirs qui lui sont nécessaires. Si on les traite bien et que leur culte est rendu proprement, les esprits sont bienveillants : les souv’nirs affluent et notre tristesse ne tarit pas. On comprend bien que dans ces pratiques, la concrétion qui nous occupait tant au début dla vie n’a pas le temps de se reformer, mais qu’on s’arrête une fois de prier, qu’on ne s’accorde plus aux esprits de l’arrière-salle et alors… A la différence des ancêtres qui sont nommés et connus, les esprits forment une troupe indistincte, souvent menaçante, parfois sommeillante, qu’il faut prendre en compte, c’est comme ça, à qui il faut penser toujours et qu’il faut toujours honorer. Les gens simples se demandent ce que font les habitués dans les bistrots, qui restent plantés au comptoir à siroter leur pernod, qui tapent le carton sur de petits guéridons instables, qui potassent avec acharnement les journaux de turf. On voit par là que les gens simples n’ont pas vécu ; on ne peut leur en vouloir de n’y rien connaître, aux grands bistrots. D’autant que les taquines érinyes dont on vient de parler ne les visitent jamais, bien ou mal : ils passent devant les grands bistrots, les gens simples, sans regarder, sans avoir vécu, à se demander ce qu’on y fait, pourquoi on attend que ça passe, pourquoi on remonte le col de notre manteau, pourquoi même on s’amuse à ces jeux de mots défaillants et répétitifs et qu’est ce qu’on attend du Turf, hein, c’est pas netnet, ces histoires de tiercé. De quoi avez-vous peur, demandent finalement les gens simples, quand ils ont choisi d’entamer la conversation ?
Des esprits, voilà de quoi on a peur, des furies et des forces primitives. Des esprits qui habitent les arrière-salles des cafés où on a nos habitudes.
On a peur, alors on prie.
(Contrits, on ne prie que quand on a peur.)
On invoque les esprits : que tout se passe bien, que l’équilibre mélancolique soit maintenu, que notre violoncelle soit bien désaccordé, que l’habitude triomphe, et qu’ainsi nos souv’nances asthmatiformes nous laissent en paix.
Parce que seule l’habitude permet l’amour. (Si les esprits nous sont favorables) (Mais il suffit de leur sacrifier le plus beau coq de notre basse-cour : le désir vague de plaire à tout le monde)
On a peur, alors on écrit.
En tous cas, à force de pernod, de prières, de repoèmes et de pourboires aux officiants, les esprits restent de notre côté. Ou plutôt, ils restent à la cave, dans les couloirs, près des toilettes. On préfère qu’ils ne viennent pas au comptoir, ce serait mauvais signe. Le comptoir, c’est la lisière de notre forêt, c’est là où l’on prie, puisque c’est là qu’on a peur.
Des esprits, voilà de quoi on a peur, des furies et des forces primitives. Des esprits qui habitent les arrière-salles des cafés où on a nos habitudes.
On a peur, alors on prie.
(Contrits, on ne prie que quand on a peur.)
On invoque les esprits : que tout se passe bien, que l’équilibre mélancolique soit maintenu, que notre violoncelle soit bien désaccordé, que l’habitude triomphe, et qu’ainsi nos souv’nances asthmatiformes nous laissent en paix.
Parce que seule l’habitude permet l’amour. (Si les esprits nous sont favorables) (Mais il suffit de leur sacrifier le plus beau coq de notre basse-cour : le désir vague de plaire à tout le monde)
On a peur, alors on écrit.
En tous cas, à force de pernod, de prières, de repoèmes et de pourboires aux officiants, les esprits restent de notre côté. Ou plutôt, ils restent à la cave, dans les couloirs, près des toilettes. On préfère qu’ils ne viennent pas au comptoir, ce serait mauvais signe. Le comptoir, c’est la lisière de notre forêt, c’est là où l’on prie, puisque c’est là qu’on a peur.