Au coin de la rue de Torcy et de la rue de l’Olive, je m’attable en terrasse au Café du Commerce, frisquet, emmitouflé, café serré, après quelques courses, fleurs et fruits, avant le déjeuner chez Martine. A côté, deux hommes discutent ; je comprends qu’ils avaient rendez-vous, mais qu’ils ne se connaissent pas. Le plus âgé écoute l’autre, qui lui rend vingt ans à peu près ; belles voix graves, ton calme, mais enjoué. Le plus jeune présente un livre, qu’il vient d’écrire et d’éditer : une Flore de Kabylie, que l’ainé reçoit avec des hochements de tête répétés, et de multiples remerciements. Puis, ils en viennent aux noms vulgaires des plantes, et la conversation se parsème de noms kabyles, et de sourires ; ils s’emballent et sont heureux ; ils parlent cuisine et recettes et ces herbes dans la soupe, ces graines dans le ragoût, mais je ne comprends pas précisément de quoi il retourne. Le plus jeune revient sur la botanique, quand l’autre insiste sur ses souvenirs culinaires. Ils n’ont pas changé de ton, discrétion, voix de basse, vague chantonnement ; je suis tout près, je les écoute sans en avoir l’air et note deux trois détails sur un coin de mon journal. Puis le botaniste évoque ses projets d’édition : une Kabylie à Paris…Ça existe déjà, mais c’est trop superficiel, conseille l’ancien, c’est beaucoup, beaucoup de travail. Il explique alors qu’il faudrait partir des bistrots kabyles de Paris, et remonter, famille par famille, village par village pour tracer le chemin d’exil de chaque village, qui aboutissait à chaque bistrot, chacun le sien, où les arrivants étaient accueillis, et pris en charge, et trouvaient du travail. Sans compter la politique…Il donne des exemples, ses souvenirs semblent très précis…mais ces cafés sont fermés maintenant, faudrait chercher les familles, et c’est beaucoup, beaucoup de travail…Je songe que les bistrots des parents, derrière la gare de l’Est, et à Aubervilliers, ont été ‘repris’ par des patrons kabyles, et je les laisse à leurs projets de livre ; je file…