les surréalistes et Monsieur Bergeret

Je sors (été 2013) d’un long cycle ‘Bergeret’ chez Anatole France : L’Orme du Mail, Le mannequin d’osier, L’Anneau d’améthyste et Monsieur Bergeret à Paris. Le tout, très bien, où le vieil homme prend place dans la série des personnages-profs, que j’aime : ils sont forte-tête-esprit-fort, originaux, maladroits et malheureux toujours : Bergeret donc (et Sylvestre Bonnard du même Anatole, même type planplan, artiste à gros nombril et foisonnante bibliothèque) et plus tard Pnine et Palomar, Pereira. Pour expliquer Bergotte, les proustiens évoquent trop biographiquement Anatole France ; feraient mieux de s’intéresser à Bergeret, qu’ils négligent : même désespoir lent, même tragique artiste, et même drôlerie teintée de mystère. Chers thésards, BERGeret et BERGotte auraient des points communs que ça ne m’étonnerait pas, voyez vous (berg+hypochor.).
Mais je ne produis cette note que pour avancer une hypothèse ; elle concerne les surréalistes quand ils conchient notr’Anatole, massacrant son cadavre littéraire et va pour le scandale. C’est le titre d’un de leur tract d’octobre 1924 : ‘Un cadavre’, tout juste après les obsèques nationales et très ‘grand homme’ de France, tract où Delteil (faible, pour le coup) et Drieu (plat, il ne changera pas) prêtent la main à Breton (à l’aise dans le pairedebaffisme tactique, sans plus) et Aragon (du style) pour flétrir la littérature en place. Hypothèse donc : les surréalistes n’étaient vraiment gênés que par monsieur Bergeret. C’est  le personnage qui les obstrue, plus que le gendelettre et voici pourquoi : Bergeret est un fantaisiste ; il est en avance d’un coup sur les héros naturalistes tout simplement parce que sa réalité est élargie au conte : il voit plus loin ; il croit aux fées ; il parle aux curés ; il se dandine (grâce pataude) vers les zones grises et humides de l’inconscient. Et il est retors dans l’exercice, savant précautionneux et dubitatif, plus subtil sur les affaires de religion que France, moins anti, en contact sensible avec des profondeurs dont les surréels comptaient bien surveiller les abords, et contrôler les accès. Bergeret, calme et ventripotent, subtil, les gênait. En matière d’infra-psychisme, il avait la main : ils ont flingué son auteur.

Leave a Comment