Jean-Michel Grosse-de-fonte est une brute

Voici donc venir à ma table cet ahuri de Jean-Michel Grosse-de-fonte, important, grand, gras, épais ; je ne l’aime pas, c’est sûr et il me fait peur mais j’ai dû l’inviter, je n’avais pas le choix, dans cette ruineuse brasserie du quartier des ambassades, rendez-vous des politiques de notre viville qui y exposent leurs ambitions. Grosse-de-fonte est le dédélégué de la Zone de front-Sud de la Ligue Coalitaire, notre parti, et aujourd’hui je m’affiche avec lui, je le soigne, je paye : c’est que voyez-vous il est de tendance mamajoritaire, le gros dla Ligue, si vous me passez l’expression, la tendance lourde très lourde, alors je dois obtenir son appui dans cette campagne idiote mais méticuleuse que je mène pour ma désignation au poste de vice-congrégataire de notre mouvement, l’appui de ce gros tas, grand gras et épais, ce gros caractère à la peau grise, au costard vaguement fripé et majoritaire, un genre d’ancien sportif pectoral, je dois obtenir son appui dans les mystérieuses instances qui règlent la vie politique du cantonton.
Voilà donc que Grosse-de-fonte s’assoit dans un souffle -ahaaan- déplie sa serviette, lisse sa cravate, change quelques détails dans la disposition de son verravin, regarde sa montre, se caresse le venventre et me dit :
-Ta gueule.
A quoi je réponds :
-kessque vous prenez, monsieur Grosse-de-fonte ? Un apéro ?
-Ta gueule, je parle : t’as aucune chance, pour ta désignation. Ta gueule, tu fais pas l’poids et puis tu vois, je t’aime pas…à la Coalition, on t’aime pas…
-Moi je vais prendre une suze…
-Ta gueule. Je m’oppose à ta désignation, je t’aime pas, tu manques d’épaisseur popolitique, si tu vois ce que je veux dire, t’as pas dfond, on te voit à travers…c’est pour ça qu’on t’aime pas…
-Et même, une suze cassis…
-Et pis t’as vovoté comme une buse, au dernier concongrès, comme un âne, derrière les cons de la momotion z, non mais kess t’es allé chercher la momotion z, la z, non mais t’es trop con. Ta gueule.
-Vous savez pourquoi on appelle ça un fond de culotte ?
-Un fondculot’, tu te payes ma fiole ? T’es trop con (il se recaresse le venventre, Grosse-de-fonte, je le vois bien : il se passe et repasse trois doigts au dos de sa cravate en prenant soin de lentement se mamasser le nombril.) On comprend jamais ce que tu veux dire, c’est comme tes trucs de la momotion z, on comprend jamais rin…
-Nonon, c’est la suze-cassis, on appelle ça un fond de culotte, savez pourquoi, la suze-cassis, dans les bistrots…
-…(doigts, cravate, paume, nombril)
-C’est parce que ça ne suzqu’assis, le fond de culotte, ça ne suzqu’assis, c’est pour…
Voilà donc que Jean-Michel Grosse-de-fonte se lève, qu’il jette sa serviette sur sa chaise, qu’il me glisse à mi-voix un dernier ta gueule-ta-carrière-est-faite, et qu’il sort à grands pas, larges et pectoraux.
Je finis lentement mon verre ; je paye en bredouillant une explication effacée. Dans la grand’rue de notre viviville, il pleut ; j’évite les flaques.

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