Monsieur Hector Grosbuilding s’est enfin rendu propriétaire d’un immeuble enfin conséquent, un immeuble de 257 étages, enfin, après tant d’années de durlabeur et d’ascension, d’intrigues et de manoeuvres d’argent, un immeuble à son nom : le GrosBuilding, enfin. Surtout surtout après de très nombreuses années de très nombreux calculs, puisqu’Hector, vous l’aurez compris, aimait à compter. Complaisamment situé dans le quartier des meilleures affaires et des meilleurs calculs, le GrosBuilding est tout de verre et d’acier, comme il convient ; Hector y niche à cinq étages différents, dans cinq grands flats de verre et d’acier, des flats inondés de lumière, comme il convient, qui exposent et manifestent la splendide et néanmoins transparente promotion immobilière d’Hector, le grand Hector, Hector le grand, propriétaire d’un immeuble, enfin, un immeuble de verre et d’acier, un immeuble transparent, enfin.
Il s’agit des étages 5, 53, 157, 173 et 211, desservis par un ascenseur exclusif, l’ascenseur du seul Hector, dont il a seul la clef. Il jouit seul de cet arrangement immobilier, de cet étagement subtilement progressif, dont il connait seul le secret. Hector Grosbuilding habite en effet à ces étages magnifiques et rares qui correspondent à des nombres premiers équilibrés, voyez comme c’est beau, situés à égale distance des premiers précédents, et suivants. Ainsi, quand il va pisser au 53e étage de son bel immeuble Hector savoure (seul) le subtil dispositif arithmétique de son nimeuble : 53 est le 16e nombre premier ; le précédent (47) et le suivant (59) ayant bien pour demi-somme 53 et tout cela fait bien du cinquante troisième étage où il s’est arrêté pour pisser un étage premier équilibré et hop, voilà sauvée la journée d’Hector Grosbuilding. Je vous laisse à imaginer le plaisir combinatoire et additionnel qui prenait notre ami Hector quand il enchaînait les haltes, répartissant les arrêts au gré de calculs jubilatoires : pipi au 57 et apéro au 173, dans quel ordre ou l’inverse les additionner ou les soustraire, les ajouter et les multiplier par le 5e où il avait installé son jardin d’hiver ? Ces enthousiasmantes questions avaient à elles seules justifié la construction du GrosBuilding ; Hector pensait qu’il ne pouvait y avoir plus belle réussite arithmético-immobilière qui dérivait chez lui en un accomplissement esthétique toujours renouvelé ; on ne saurait lui donner tort.