Filippo Pigafetta ralentit sa monture le plus calmement du monde et mit pied à terre sous les platanes de la grand place. Il aimait ce moment de l’après midi, plutôt vers la fin, où il rejoignait ses amis au club des Savanturiers, des gens chics et aimables comme lui, qu’il aimait, qu’il estimait, comme lui savants, comme lui aventuriers, ses amis de longue date. Il faisait doux sur la grand place et le stupide brouhaha de la manifestation faiblissait. ‘Et contre quoi, ils protestaient, ces imbéciles, soupirait le bon Filippo ? contre quoi ?…veulent pas que les garçons épousent les garçons, et que les filles marient les filles, sont ils bêtes, ces émeutiers de droite, tout de même, on les changera pas…’ Mais ce dépit à peine surpris n’accabla pas Filippo Pigafetta très longtemps…et qu’est-ce qu’ils y connaissent, à l’amour…Il s’engage lentement dans le grand escalier du club, frais, sombre et amical et oublie vite les braillards inamoureux ; il prépare à mi-voix la belle histoire qu’il va raconter à ses bons amis savanturiers, si savants, si patients, si drôles, une histoire de chevaux, de carosses, de Porthos et d’Aramis où il prévoit de mêler Queneau, parce qu’il n’y a pas de bonne histoire sans Queneau, impossible, désagréable, sans intérêt, pas d’histoire sans le vieux bérêt du vieux Queneau ; il pousse la porte du club, rajuste le col de sa veste, tire sur les manchettes de sa chemise et sourit : c’est que François Babié de Bercenay vient à sa rencontre et le prend dans ses bras : ‘comme tu es beau, Filippo, comme tu es beau. Si tu nous racontes une belle histoire, cette fois c’est sûr, si tu nous racontes une belle histoire, je t’épouse, Filippo” Sers-moi à boire, répond ce dernier en souriant, l’essentiel, c’est la bonne histoire…écoute Babié, écoute, ça parle du vieux Queneau…sers moi à boire…’