Je marche lentement, purgeant sans doute les fatigues de la veille, ralenti par le rhume ( très léger coup de froid hier à la minuscule terrasse de la rue Chappe ; je l’ai bien senti quand se sont ravivés les éternuements des dernières semaines. Ce n’est pas un rhume, plutôt un assèchement de la gorge, le nez infecté, les poumons faibles.) Manteau bleu dégrafé pour sa première sortie hivernale, veste neuve boutonnée une fois, gilet froissé, chaussures noires vernies-glacées. Le plus souvent les mains derrière le dos, mes journaux à la main ; quand je réchauffe les mains dans mes poches, les journaux sont alors pliés en quatre et glissés sous mes avants bras. Je remonte vers Pigalle, en prenant derrière Montmartre par les rues Doudeauville et rue Marcadet, quartier des commerces africains. Et note qu’au 9 rue Doudeauville, l’enseigne Canaan Exo, cathéchise utilement son métier d’épicier : le pays où coulent le lait et le miel. Une autre : rue Marcadet : le marché de ma tête, alimentation gen. Je prends la rue Francis Carco, qui est en L, où il ne se passe rien et qu’on ne lit plus guère, une rue de derrière, qui me laisse pas loin dans la rue Stephenson. Puis les spécialités turques de la rue Clignancourt : restaurant Pinar ( évolution de la limonade, dysorthographie voyageuse et négligence finale) et l’intention politique et ironique, sans qu’on sache quoi : le Schengen, qui est africain où le fanion européen est représenté en brun et rouge. Je déjeune de deux sandwiches, poulet rue Marcadet et jambon beurre aux Martyrs, avec cette sorte de regret de mal manger. A ce que j’en vois aujourd’hui, les affaires du quartier sont organisées ainsi : ateliers et confection vers Marx Dormoy, épiceries et mercantis canaanéen, mais boutiques chiques et couture quand on approche de Montmartre par les rues Muller et Del Sarte. Effet de compréhension, satisfaisant. J’ai prévu de me faire couper les cheveux par la petite coiffeuse des martyrs qui ne va pas manquer de me dire : « et je vous coupe aussi les poils sur les oreilles, parce que c’est pas joli ». En effet, ce n’est pas joli. Tiens, il a été chez le merlan, dira Henry. Je corrige : la merlante, qui devrait lui rester.