Vendredi 7 décembre 2012, à Paris, vers trois heures : je viens de la gare de Lyon et progresse lentement vers Saint Ambroise, alourdi par ma trop forte valise. Rue de la Roquette, je perçois des cris très aigus, incompréhensibles : ça vient du trottoir d’en face et il faut que j’en détaille les passants pour comprendre que ces hurlements sortent d’un petit bout de femme anodin à la silhouette ordinaire. Je traverse et profite d’une courte avance que j’ai sur elle pour prendre la photographie qu’on voit ici (à peine agrandie) ; mais il pleut ; je suis très encombré ; je ne peux prendre plus de notes et, de toute façon, je n’ai pas pu exhiber à temps calepin ni stylo. Je note mentalement quelque chose comme : ‘…pas ce que que ça, les arabes…m’en fous de ta tronche…j’ai pas vingt-six ans, moi…’ que je retranscrirai plus tard. Sa voix est très aiguë et elle crie à flot continu, sans que je puisse saisir le début d’une phrase ou la fin d’une autre, voix de gorge, éraillée, qui fait peine à entendre.
Mais je retrouve pauvre crieuse plus tard, vers cinq heures, après que j’ai posé mon éreintant bagage chez Koffi. Il est cinq heures et il pleut encore et toujours ; la pluie fine de tout à l’heure est devenue collante. Je remonte le boulevard Voltaire vers la République : elle est là, au niveau du 170 du boulevard, vers l’impasse du Bon Secours : toujours ses cris, pas moins difficiles à déchiffrer. Je la suis de près et prends cette fois des notes (humides) dans la marge de mon journal : elle est jeune, lunettes embuées, la pluie ne lui fait pas de cadeau, cheveux plaqués et défaits : le froid mouillé qui l’assaille renforce l’effet de pitié. Maintenant elle traîne ; elle se retourne ; je la double et ralentis : je cherche à comprendre ce qu’elle dit : rien à faire. C’est à peine si j’arrive à discerner : ‘…sauver le monde…’ et : ‘…pas après seulement…’ sans que je sois sûr de rien. Elle a l’air à bout de force.