Hier jeudi 2 décembre, un peu avant cinq heures, à la sortie du village (Chabeuil, Drôme) sur la route de Valence. La nuit tombe, en même temps qu’une brume légère, mêlée d’une neige serrée ; dans peu de temps on n’y verra plus grand chose, les bagnoles ont déjà leurs phares, l’éclairage municipal est en service. Fait froid, la neige de ces deux jours est à peine dégagée, les trottoirs sont encombrés des tas de neige sale rejetée par les chasse-neige. Cette route est très fréquentée, qui mène aux supermarchés du coin et qui commande l’accès aux contournements du village. De surcroît : petit vent ; je ne me suis lancé dans cette expédition jusqu’au Casino que pour en rapporter le Campari et le jus de pamplemousse nécessaires à la réussite de mon sorbet au Campari, prévu ce soir. Bon. Ciel bazélourd, mais je repère de loin un drôle d’équipage, déjà remarqué dans les rues de Chabeuil. C’est une jeune femme montée sur une bicyclette à trois roues, objet rare dans la famille des vélos, du moins dans nos contrées, un truc d’adulte, aux roues de diamètre moyen, doté d’un cadre très échancré, bien équipé et neuf. Les roues arrières sont réunies par un dispositif sérieux qui en fait une plate forme grillagée, porte bagage important. La jeune femme est vêtue très chaudement, engoncée dans un anorak de couleur sombre, casque, gants et sur-tout fluorescent ; grosses lunettes, elle est très myope. La piste cyclable est recouverte de neige et de glace, voilà le tricycle occupant la voie de droite et laissant peu de place aux bagnoles qui veulent doubler. D’autant qu’elle roule très lentement, au pas et guère plus vite.
Tout ça semble très dangereux.
Toujours cette jeune femme roule ainsi, très lentement, maladroitement ; on la croise très souvent dans le village ; sur son vélo, elle s’amuse, ça se voit bien, mais elle ne va nulle part ; elle se déplace comme pour jouer. Son occupation enfantine est nouvelle, disons depuis l’été dernier. Dans la petite côte près de chez nous, à cet endroit de la route qui forme une chicane, je ne l’ai jamais vue à bonne allure, toujours en difficulté, peinant sur sa machine. Mais quand on passe près d’elle, elle relève la tête et semble exagérer son air appliqué.
Ce soir là, quand je la croise, je sors mon téléphone, que j’ai préparé en appareil photographique et je la cadre ; elle s’en aperçoit et s’arrête de pédaler. Je lui dis : ” je vous prends en photo”, ce qui la fait rire. Quand j’ai fait quelques pas, elle répond : “j’espère que vous m’avez pas pris”. Non non. Mais sa réticence, sincère ou non, fait que je renonce tout de même à poster ici la photo embrumée de la tricycliste de Chabeuil.