A la grande et bonne librairie Arthaud, au centre de Grenoble, le mercredi 26 janvier 2011, vers midi. On le repère vite, et tout de suite on sait qu’il ne va pas bien. Pourtant, rien ne le signale vraiment…Sans doute parce qu’il est parfaitement inactif, dans une librairie où tout le monde s’affaire, ou flane.
C’est un homme d’une cinquantaine d’années, aux cheveux courts et soignés, dans une sorte de coupe militaire, rasé sur les tempes, plus long au sommet du crâne. Loden, écharpe, chemise boutonnée jusqu’au col, pantalon trop court qui laisse voir des mollets maigres et blancs et qui mettent en valeur de grosses chaussures inélégantes de marque Mephisto. Il se tient les genoux serrés, assis dans un coin de la librairie sur une courte banquette, derrière le rayon littérature française. Survient un vendeur qui lui lance un “bonjour” enjoué et très familier. Il répond en souriant, d’une voix forte :
-Oui bonjour…fait froid….ça pince…
-Ben oui, restez au chaud, surtout.
-…(indistinct)…ou alors des gants, mais je suis distrait, alors je peux pas en prendre…ça fait mal aux doigts.
Je note qu’il a un accent marqué, sans que je sache bien le définir (savoyard, peut-être, les R apparents et voyelles fermées)
Un moment se passe. Il se tient tête baissée ; il attend ; il cherche son bic quatre couleurs dans la poche intérieure de son loden. Ne le prend pas ; il attend. Il garde un mouchoir en papier très froissé dans la main droite mais reste les coudes appuyés sur les genoux, soutenant sa tête par le menton. Demi-sourire patient, tête baissée.