24 janvier 2007. Rossini au Châtelet, La pietra del paragone. Joie de vivre et légèreté. C’est mon troisième Rossini de jeunesse parce qu’en effet ces pièces sont très rarement programmées : mais toujours le même effet de liberté et de grâce. Dispositif scénique amusant, beaucoup de vidéo : des maquettes sont amenées sur scène, et filmées, on incruste alors les chanteurs, filmés en gros plans par ailleurs sur de très grands écrans suspendus. Effet de télénovellas, et de bande dessinées, impec. Hésitations des amoureux : faut-il aimer dans ce monde-là, se laisser aller à l’amour alors qu’on connaît la suite, et les embuches et les complots de l’argent et de l’arrivisme. On hésite et c’est normal, on met alors des stratagèmes au point, pour aider la raison à décider : les burlettas que j’aime beaucoup. Ce sont de petites pièces musicales qui emportent le morceau : il semble que l’amoureuse se décide parce que l’amoureux chante bien, littéralement un charme musical. Pendant ce temps, le livret présente une farce, une mystification, un tour.
Une cinoque, pas loin de moi, au deuxième balcon, place B17 ; je la vois bien, très profil, vue arrière. Une toquée sublime. Grande femme aux cheveux gris et courts, imper chic demi froissé, au col de fourrure, jeté sur les épaules. C’est l’entracte, tout le monde est sorti, on reste tous les deux seuls. Un gros livre broché sur les genoux, elle froisse bruyamment un papier de bonbon. Je n’ai pas remarqué tout de suite qu’elle parle seule, à petits gestes contenus, elle parle de Rossini ( c’est comme ça, avec Rossini..), elle désigne la scène, explique quelque chose. Un cabas rouge est posé à coté d’elle, marqué “honny soit qui maly pense”, orchestre ou musée Maly, snobisme. Elle parle peu, comme si elle laissait la place à son interlocuteur : elle expose son point de vue patiemment, sûre de l’issue du débat. Mais, dès que les premiers spectateurs reviennent, elle s’arrête, silence. Elle ne parlera plus. Je continue mon observation : elle a soixante-dix ans, maigre, profil aigu, visage allongé, bijoux nombreux et fins, chaussures de daim rouge sombre, à minces revers, bas noirs, jupes de lainage bleu nuit. Son livre est un livre de mémoire ; je me suis déplacé derrière elle pour en voir le titre, rien à faire, pas grand chose d’autre que le haut de page : “mémoires…”. On va reprendre, elle ne dérapera plus, elle se reprend même tout à fait : remonte son manteau, et le resserre autour d’elle, change de lunettes, un léger geste pour se recoiffer.
Cette cinoque ajoute à mon plaisir ; je passe une excellente soirée ; je peux me croire à la Scala ( « à force d’être heureux à la Scala, je finis par devenir une espèce de connaisseur ». Stendhal et la belle devise des amateurs d’art)