premier portrait du sapeur japonais

Je retrouve en fouillant dans ma collection un carnet sans date où sont recueillies des notes sans date. Un examen déchiffrant et patient révèle qu’il s’agit d’un portrait que je cherchais depuis longtemps, celui du très beau sapeur japonais, un clochard dandy, rencontré sur la ligne de bus 95 et décrit précédemment à la date du 23 juin 2010. A l’ambiance du carnet, aux sujets qui y sont traités, je devine que cette rencontre a eu lieu en 2007, 8 ou 9. En revanche, c’était à midi, le 12 juillet, cette notation ouvrant même les pages concernées. Je me reporte donc à ces dates dans mon journal, papier ou tableau-mac et je ne trouve qu’un 12 juillet, celui de 2007, qui me situe bien à Paris, en balade ; une brève mention “cinoque à la veste rose”, confirme donc la date : 12 juillet 2007, trois ans déjà.

C’est un portrait sans souvenir, tiré de mes seules notes décryptées : un grand japonais arrive à l’arrêt du 95, place Saint-Germain-des-Prés et les voyageurs qui attendent là s’écartent vivement. Il porte une veste croisée rose (laine, sans doute), sans maillot, sans chemise, nu. Des pièces de simili-cuir remontent sur les manches de la veste et lui font des mitaines, l’ensemble maintenu par des lacets (ou ficelles…) ; il a de très nombreuses bagues, dont une au majeur droit. Il est sale (ce qui n’était pas le cas en juin dernier dernier où seule son élégance très déglinguée était frappante) ; des chaussettes montantes tiennent le bas de son pantalon sombre, qui est très crasseux. Des journaux pliés, dans toutes les poches.

On monte dans le bus, il s’asseoit aux premières places, jambes croisées et serrées. En passant devant lui, je note sa barbiche poivre et sel ; un lacet noué sur le front retient ses cheveux mi-longs. Il parle seul, à voix basse. Par sa veste entrebaillée, on aperçoit un plastron (ou un gilet ?) écossais assez chouette. Il se racle la gorge, bruyamment. Il tire ses journaux de sa poche, fait mine de les déplier, et crache dedans. Il semble s’appliquer à la manoeuvre et prend son temps. Rempoche ses journaux. Poignets de veste déchiquetés ; pantalon fripé, mais ajusté : pas un clochard ordinaire, plutôt un type de chaos urbain. Souriant, il parle entre ses dents. Il roule un de ses journaux, et s’en sert comme d’un sceptre. Longue période de calme souriant, yeux pétillants, sans rien dire ni faire. Je suis debout, à deux rangées, prises de notes précautionneuse : il m’a remarqué. Fait mine de s’endormir, mais se redresse brusquement et descend derrière Saint Lazare.

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