le synoque de Léon-Paul Fargue

Je redonne ici le texte de Fargue, à l’origine de cette expression de CINOQUE qui veut décrire ces déclassés, ceux qui “ne vont pas bien”. J’y ai pris le principe de mes notes. C’est dans Poisons. -Du papier et de quoi écrire !…

Un jour il est entré venant dont n’a jamais su d’où. Et puis, il est revenu…Depuis, on s’est habitué à le voir. On l’appelle le « synoque ». Il a dû « être bien » autrefois. Les uns disent que c’est un professeur qui a eu des ennuis, d’autres assurent qu’il a fait de la politique, certains le croient poète et d’autres encore le pensent inventeur. Ce qui est certains, c’est qu’il est instruit.

(…)

Digne-enfermé dans son ivresse comme le Cid dans son armure-le »synoque » arbore un sourire condescendant, il se lève, assure sa démarche et sort après avoir courtoisement salué l’assistance d’un coup de chapeau qui libère des mèches en désordre et déséquilibre ses lunettes.

(…) demain il reviendra, ayant épuisé son pécule et sa provision de rêve. Il boira un seul verre don il sollicitera l’inscription à l’ardoise. La lippe amère, il remâchera dans sa moustache des discours incohérents. Et toujours comme ça. Rien à faire avec lui, il est « synoque ».

Fargue a choisi une étrange graphie pour son cinglé, avec un i très grec (le sun grec : ensemble, qui traduit l’idée d’une communauté : il y aurait une fraternité, un syndicat, des fêlés. Belle idée). Fargue avait le choix, ses années 30 et 40 écrivaient “sinoque”, ou “cinoque”. Toujours très précis, et jamais en retard d’une bizarrerie, il voulait sans doute réserver cette appellation à la sous famille des dingues d’apparence savante et liseuse.
Chez Sartre (Le Sursis), on trouve “sinocque”, sorte de préciosité normalienne. De nos jours, les cinoques sont plus nombreux, et, de prime observation, moins instruits : on a moins besoin du grec pour bien les saisir : je maintiens “cinoque” dans mes relevés.
Chez Perec, Cinoc est le tueur de mots de la Vie mode d’emploi : son métier est de nettoyer le dictionnaire des mots vieillis. Et Perec ne se prive pas d’une longue désinence de Cinoc, orthographie et généalogique.

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