Samedi 2 octobre 2010. Au village à vélo, comme chaque matin. Vent du Sud, temps doux, roue libre, mains lâchées. Tout va bien, ça descend tout au long. A peine le portail franchi, je double le jeune marathonien qu’on voit souvent courrir dans le haut du village. Il a dix-huit ou vingt ans, une allure très sportive, une foulée dure et sérieuse. Jamais il ne court comme les autres joggers, qui se regardent faire, qui vous balancent un signe de tête, qui semblent heureux qu’on les contemple en forme. Lui, est sérieux et martèle ses foulées sérieusement. Ce matin : short noir de coureur, baskets impeccables, tee shirt de coton rouge sombre, sac à dos qui ballotte. Il est neuf heures, c’est son heure ; on le croise parfois plus tôt, toujours dans notre quartier. Ces derniers temps, il est à vélo, un vélo de course jaune, simple, au cadre de forme ancienne et droite. Cette allure martiale me l’a signalé, il a quelque chose qui ne va pas. Sa solitude, peut être, rien de très formel, ni de très sûr, mais cette façon coûte que coûte, l’entraînement forcé…Hiver comme été, vacances scolaires (que fait il ?…) ou pas, il court le plus dûrement qu’il peut. Je note aussi une raideur du dos, les épaules très à plat, les talons qui frappent le bitume…
Mais il y a une quinzaine de jours, je me suis trouvé derrière le jeune marathonien chez le marchand de journaux. Dans la même tenue de sport, il était lancé dans l’achat d’un briquet et de cigarettes et ne s’en sortait pas, confus, hésitant embrouillé. Il maniait étrangement un petit porte monaie, voulait payer avec une carte de crédit, impossible, reconfusion, ça durait et, au moment de parler, il buttait sur les mots, rien n’allait de soi, ça lui était pénible. Il s’en tirait en désignant un briquet puis un autre…C’était la première fois que je le rencontrais sans qu’il courre et là, il paraissait très démuni ; pour moi, c’était comme une confirmation : le jeune marathonien ne va pas bien.