Vendredi 3 avril 2015 vers 11 heures, dans la galerie marchande de la Part Dieu, à Lyon, où je suis venu relever des courriers électroniques dont j’ai besoin ; on trouve là, en effet, des recoins tranquilles où les communications sont rendues possibles par des bornes, des prises, et autre sorte de machines très commodes. A l’étage, il y a ainsi un petit amphithéâtre que je connais, en forme de gradins demi-circulaires ; je m’asseois sur ces marches de parquet ; peu de monde, tous affairés à leurs appareils, assez concentrés dans l’ensemble. Je me consacre à mon téléphone mobile mais, derrière moi, une voix grave prend le dessus ; ça me gêne, et je tend l’oreille : ça ressemble à une conversation téléphonique, tenue en français avec un fort accent (turc ou hongrois (?) rocailleux et mélodieux) par un homme qui souhaite négocier quelque chose comme un répit, d’un ton de lassitude. C’est apaisant et tranquille : ‘ je veux préserver, te préserver…pas critiquer…pas de vêtement…pas plage, pas Lavandou. Je veux calme, tranquillité…je veux préserver…préserver…’Je sors mon carnet et prend des notes au vol : toujours aussi grave et tranquille : ‘…par derrière, par le cul ? La femme par le cul ?…J’ai mangé ta soupe…dégoûté…il faut sélectionner, sélectionner…’ Un coup d’oeil par dessus mon épaule me permet de comprendre qu’il ne s’agit pas d’une conversation téléphonique, mais d’un monologue ; l’homme est assis juste derrière moi qui parle à quelqu’un, mais seul. J’équipe mon téléphone pour prendre ce genre de photo discrète sans se retourner, comme si je pianotais sur mon appareil et prend la photographie qu’on voit ici. Je vais reprendre mes notes quand une forte détonation retentit dans le mall, comme le bruit d’un pétard à mèche : ça lui cloue le bec. Plus rien. J’attends un peu avant de me retourner : l’homme s’est éloigné : jean bien mis, blouson sombre, bonne coupe de cheveux, élégance, taille moyenne : il se tient akimbo, les poignets retournés qui enserrent les reins et la taille, pouces en avant.