L’ami Bastien, de passage fin octobre à Lisbonne, a fait le détour de la place do Comercio et du café des Arcades pour prendre des nouvelles du cinoque bouquiniste dont il avait lu le portrait dans ces carnets il y a quelques semaines. Il m’a fait passer quatre photographies du vieil homme qui sont comme une vérification de mes notations de l’autre fois, même heure et même patience inactive, même fatigue ; je publie celle où le bouquiniste tape une cigarette (Bastien confirme : c’est toujours à des femmes, toujours en levant le doigt dans un geste d’enfantillage. La photo révèle cette habitude de détail que je n’avais pas remarqué : au creux de la main tapeuse, mon cinoque cache une autre cigarette.) Toujours fatigué, excédé mais empullé puisque voilà l’automne, mal rasé, le bouquiniste n’a rien changé ; je scrute ces images et c’est comme si tout était en place, peut être quelques livres vendus, mais comment savoir ? et rien n’en fait un dérangé, de ce bouquiniste harassé, Bastien ne rapporte rien d’étonnant, un vieux Lisboète de la dictature, usé jusqu’à la trame voilà tout. Mais moi qui l’ai entendu coasser, je sais qu’il est au bord de quelque chose, prêt à rompre. C’est vrai : ces histoires de cinoques sont affaires de preuves, et de témoignage.
Photographie Bastien Morin, du 29 octobre 2011.