Mardi 6 septembre 2011, neuf heures, au café Martinho da Arcada, praça do Comercio à Lisbonne où, comme tous les matins je suis installé à la terrasse à lire les journaux français que je suis aller chercher au Rossio, un peu plus haut dans la ville. Repos, feuilletage et notations variées, calepin et petit photographiage ; et comme tous les matins le vieux bouquiniste qu’on voit ici déplie un étalage composé d’une sorte d’étagère fixée au mur et dont le rabat sert de comptoir. L’ensemble peint de vert sombre est très léger, frêle et astucieux ; pas grand chose, quelques livres qui ne bougeront guère pendant la semaine où j’ai pu faire ces observations. S’il est bien arrivé depuis dix minutes, il a attendu 9 heures précises pour son installation ; il ne s’assied (petit pliant resté sur place) qu’une fois son stand en ordre et prend le soleil mais, quand celui-ci tourne et passe derrière les arcades, alors le bouquiniste se lève et fait les cent pas sur le trottoir de la rue Augusta ; il vient parfois tourner autour des tables da Martinho : je note alors qu’il est visiblement très fatigué, de ce genre d’éreintement nerveux aux yeux injectés de sang, ongles longs et mal tenus, cheveux long et gris plaqués en arrière, barbe blanche qui lui mange le cou, chaussures passées à quoi colle une poussière épaisse, fines chaussettes noires, mauvais pantalon de ‘tergal’, chemise bleue dont je n’ai su voir s’il en changeait d’un jour à l’autre. Et aussi cette veste de tweed qui signale l’anglomanie des vieux Lisboètes de la dictature.
Je ne lui ai pas vu un client, rien, personne ne s’arrête. Le quartier est chic, administratif et ministériel et le café très fréquenté mais rien n’y fait : mon bouquiniste n’attire pas un regard.
De quelques mots appuyés d’un geste de l’index, il tape des cigarettes aux clientes de la terrasse. Jamais aux hommes. Il est assez courtois (même s’il ne sourit pas ) mais ce jour-là cette habitude prend un tour un peu particulier : la tapée est installée à une table voisine de la mienne et dès qu’elle lui tend en silence la cigarette demandée, qu’il l’a allumée avec son propre briquet, il se lance dans une série de cris brefs et méchants vers cette femme qui vient de lui rendre service. Une voix de gorge, des coassements qui ne me semble pas articulés du tout, oui, très méchants, bilieux ; il rejoint son pliant en coassant.