le cinoque à la jupette

Lundi 10 décembre 2012, peu avant huit heures, au restaurant McDonald du boulevard Voltaire où je prends mon quartier du soir. Je suis dans la file, tout près de commander du poulet frit en morceaux, quand je remarque à ma gauche un petit homme chauve en jupette de laine déguenillée. Puis je m’occupe de régler mon repas ; à ma grimace : bouche tirée vers le bas, lippe remontée, mouvements de menton, le tout, dubitatif et surpris, la caissière répond : ‘ben ouais, hein…’, signe qu’elle a repéré elle aussi le petit travesti. Avant de prendre mon plateau, j’équipe très vite mon appareil télé-photographique et saisis le portrait qu’on voit ici ; je m’installe ensuite dans la salle du bas et relève dans les marges de mon journal qu’il n’est pas chauve (cheveux longs même, sur le haut du crâne et dans le cou, blouson de type bombers, asiatique, petite taille, bottines de feutre pas nettes, collants épais, allure placide. Il file discrètement vers la salle du haut.
Je finis mon repas, et commande un dessert caramélisé, que je vais prendre en haut.
Je m’attable pas loin de mon lutin, installé dans le fond de la salle, pas loin d’un groupe de vieilles dames très spectaculaires, un genre de clochardes old school, bag ladies qui parlent fort et rigolent beaucoup, une surtout, au chapeau de laine violette, jupe colorée, bijoux voyants. Cris et apostrophes. Elles parlent de poils sur le visage et que ça porte bonheur, mais faut pas le raser.
Je peux détailler à mon aise le petit homme en jupette : il porte une fine moustache dégarnie et une pointe de barbe noire, des yeux très noirs, son anorak est sale et informe. Il est tout à fait paisible, méditatif et fatigué, affairé à un repas très complet couronné d’un hamburger à étages. Sa jupette de laine semble faite de tweed, brune beige, T-shirt à col en V; une trentaine d’années. Une des trash-mammies se lève et aborde le lutin travesti : ils se connaissent, habitués des lieux : elle lui montre une poupée qui figure un Père Noel et lui demande s’il faut ‘lui mettre une pile’. Il répond très gentiment en souriant, et fait signe que oui ; je ne suis pas sûr qu’il a dit grand chose, simples gestes. Malgré le vacarme voisin, il se tient maintenant la tête à deux mains, yeux mi-clos, semblant dormir, très calme, dos assez droit, jambes croisées. Mammy1 chante : ‘petit papa Noel, n’oublies pas d’am’ner ta gamelle…’ et rigolade. Survient alors, dans l’escalier, une nouvelle vieille-dame-indigne, qui entame une conversation avec Mammy1 venue l’accueillir : ça parle très vite de ‘sandwich-berk’ et ça enchaîne sur un dialogue plus discret dont je ne perçois rien. Mammy4 redescend, et, quand Mammy1 (chapeau de laine) revient à sa table, une de ses copines lui demande :’et comment elle va Madeleine ?…’ Elle va, elle va…Avant de se rasseoir, elle s’adresse gentiment mais fermement au lutin en jupette : ‘eh ho, tu te réveilles, hein, t’es en train de dormir…’ Il se redresse, la regarde, mais ne répond pas. Il repart à somnoler.

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