Vendredi 30 octobre 2016, gare de Valence, vers midi, en montant dans le TGV pour Lyon, un jeune type est planté dans l’allée et entrave l’installation des voyageurs ; bien sapé, fin, il est gênant ; je le prends pour un maladroit ; note tout de même qu’il sifflote (or : l’angoissé sifflote, axiome d’observation personnelle ) ça met un moment mais on finit tous par s’installer. Il est bientôt assis derrière juste derrière moi. Je perçois nettement une supplique, longue et chantonnée, où je finis par distinguer :’ …oh mais dis-moi, Johanna…dis-moi tout…’ Ça ne fait pas un dialogue ordinaire, y compris pour un qui se parlerait à lui-même, ou au téléphone, pas une chanson non plus : je me retourne et jette un coup d’oeil rapide : il est très jeune, noir à la peau plutôt claire, antillais peut-être, cils faits, chemise bleue d’officier à épaulettes. Maniéré sans aucun doute, très efféminé, il se comporte comme une folle ; je me déplace pour voir plus à mon aise, dans les fauteuils disposés en carré qui lui font face ; il ne remarque rien, occupé à la toilette de ses mains avec un petit outil spécialisé. Il semble déchaîné, tout à sa pantomime ; visage très long et expressif, dont les grimaces sont très marquées. Il est seul au monde, excédé et perdu dans le cinéma de manucure qu’il se fait. D’une petite trousse de toilette qu’il porte à la ceinture, il tire de très larges lunettes qu’il revêt en se caressant le front. Je regagne ma place et l’écoute chantonner-parler (récitatif, haute contre) ; peu de répit, il parle sans cesse ; je distingue de temps en temps des bribes comme : ‘…il y a surtout…qui a joué?..Comment, comment, comment ? (sa voix aiguë déraille)…Ah l’été à Alberta…bonjour, cher ami…”
A la descente de Lyon, il s’habille, plutôt décevant, mal attifé d’une sorte d’anorak désuet et trop ajusté ; toujours ses imposantes lunettes ; toujours encombrant, tirant son bagage à roulettes avec des manières et des empêchements.