Lundi 10 décembre 2012 au bistrot Le Rey, place Voltaire (Paris, sud-est) où je prends mon premier café très matinal ; ma voisine se parle d’une voix rapide : ‘…toujours des sous…c’est moins lourd maintenant…je vais jeter ça à la poubelle tout à l’heure…’ J’étais installé au bar avec mes pointes fines et mon micro-calepin, occupé à des dessins rapides quand elle est venue s’installer, tout près de moi, très vive, jetant son sac à main sur le comptoir, immédiatement bavarde, voix claire, vocabulaire précis, très compréhensible. Je note à la volée ce qu’elle dit ; elle me croit occupé à mes croquis. Il semble que le barman se paye discrètement sa fiole ; elle soupire : ‘ halalalala…j’ai jamais fait de télévision…j’ai jamais fait de film…j’ai fait de la danse, mais je suis jamais passée à la télévision…je suis une vedette de la mairie, c’est tout…berk, il est trop chaud, son café…’ Elle prend des notes, dans les marges de son journal [Le Parisien : fripé, ce n’est pas le journal du jour], pointe bic, bonne écriture mais que je ne peux déchiffrer. Elle est menue, cheveux longs coiffés à la diable, manteau de peau retournée, bottines, petites lunettes ovales, capuche défaite. Elle continue : ‘…je vais lui laisser 10 centimes quand même…c’est pas ça que je cherche…C’est celui de samedi ? [farfouille dans une liasse désordonnée de tickets de PMU]…je le toucherai là-haut…’ Toujours saccadée, elle file aux toilettes, et en revient très vite pour disparaître sur le trottoir. Elle me laisse au bar, avec les oiseaux de nuit : un rondouillard au grand chapeau de cuir et lunettes troubles, accompagné comme hier de son très jeune copain épuisé. A la table derrière moi : celle que j’appelle ‘la roumaine au cognac’, qui tient la salle une partie de la nuit ; elle boit-et-bavarde avec le gérant qui se lève et dit au barman : ‘tiens Eric, tu peux remettre un petit calva à (pas compris…)’