Mardi 14 mars 2006, je suis installé à la terrasse du café qui fait l’angle de la rue des Martyrs et du boulevard de Clichy. Soleil et journal que je viens d’acheter au kiosque. Retour d’une courte promenade dans le quartier, photographiante, quelques peintures hasardeuses ( titre : la peinture fait le trottoir) à même la chaussée. A droite, une jeune femme (escarpins roses et fleuris) semble jeter un oeil sur ce qui semble être les dialogues d’un film. A gauche, deux jeunes types, dont l’un, au téléphone, donne des conseils pour profiter pleinement d’un voyage à Pondichéry ; jargon psychologique et assurance : agacement. A gauche, venant de la rue des Martyrs, une très forte voix : “attends cinq minutes, mon pote, et calme toi, comme moi. ” Un type, costaud, grand, est arrêté au milieu de la rue, sur le passage pietonnier. Il continue, très assuré, de plus en plus fort : “je suis très très calme, moi. Fais comme moi, mon pote, très calme”. Il traverse enfin, me sourit, et dit, criant presque : ” Et je ne m’appelle pas Depardieu, moi, ou Gérard Depardieu”. Il a trente cinq ans, une barbe rousse, un énorme casque musical sur les oreilles, une ample veste rouge et d’immenses baskets montantes, qui excèdent de plusieurs tailles sa propre pointure. Prise de note à la volée, sur la première page de mon journal. Passe alors un autre costaud, plié sous un énorme sac à dos. Il est brun, nombreux cheveux blancs, mal coiffé, peu soigné. Il marche d’un bon pas. Des tatouages pointillés divisent son visage en petites parcelles ; les lignes suivent les rides naturelles du visages ; on dirait un croquis de boucher. C’est effrayant. A nouveau prises de notes ; il repasse aussitôt : les pointillés courrent aussi sur le cou, derrière les oreilles.