Lettre très amusante, bien dans le ton sans faux semblant des deux amis, Nelson Algren et Joan Kadesch. Nelson estimait sans doute que, engagé sans faiblir du côté des plus pauvres et activiste fiché, il n’avait rien à prouver, ni à s’interdire, côté racisme et anti-racisme. Partie prenante de l’Amérique des droits civiques, il pouvait blaguer franchement ‘les nègres’ et leur supportrices : cet état d’esprit marque tout entière cette lettre-collage à Joan Kadesch. Elle est non datée (mais écrite au dos d’une lettre d’avocat (Elmer Gertz, de Chicago) datée du 18 mars 1963. Nelson se paie ici la tête de Joan, qu’il verrait bien membres d’honneur (‘to get in on the ground floor’) d’une Association des ‘Nigger Lovers of America’. Et vulgaire avec ça (‘bites noires’ etc…) comme les deux amis, sacrées dirty mouth, savaient bien parler, et écrire.
Le deuxième paragraphe est pour partie composé d’une liste, drôle mais bien informée, des personnalités de l’époque qui auraient pu accompagner Joan dans l’Association ‘Nigger lovers of America’. A savoir : Moïse Tschombé, Dick Gregory (militant noir, acteur (les premiers ‘stand-up), activiste, féministe…), Ralph Bunche (premier Noir prix de Nobel de la paix, diplomate fameux) James Baldwin (que Nelson n’appréciait pas plus que ça), Jack Johnson (Chicagoan in a way, premier Noir champion du Monde des poids lourds. Pour rester dans le sujet, Jack Johnson avait été poursuivi pour ses rapports amoureux avec les femmes blanches). Et Fran Landesman, mais elle est comme ‘hors liste’. Amie commune de Nelson et de Joan, Fran Landesman est une sorte de tête de turc dans leur correspondance. Jay avait écrit les paroles d’un comédie musicale tirée de Walk on the Wild Side. Et semble-t-il, ça s’était mal passé. Fran et son mari, Jay Landesman tenaient un cabaret fameux à Saint Louis, The Crystal Palace, où avait travaillé Joan.
Les deux dernières lignes de notre lettre autorisent Joan à participer à une fanfare, la ‘Fanfare-des-femmes-blanches-pour-des-queues-noires.’ Signé d’un collage représentant Dizzy Gillespie (mais est-ce bien lui ?), hilare et paraphée ‘DIZZY D’ISRAELI’.
Et d’ailleurs Elmer Gertz, dont il est question plus haut, était un avocat, professeur de droit, et lui aussi militant de droits civils. Juif de Maxwell street, à Chicago, il avait défendu Henry Miller et son Tropic of Cancer, alors interdit aux États-Unis et menait bataille pour l’éducation populaire : au dos de notre lettre, il tente en effet d’intéresser Nelson à un ‘Adult Education Council of Greater Chicago’. Elmer Gertz… voilà bien une piste non explorée par les amateurs d’Algren.