Dialogues de la crémation. 1.

LE PÈRE ET SON FILS-CAILLOU
[La crémation, lorsqu’il s’agit d’enfants de moins de 18 mois, comporte une particularité, due à la faible calcification des os jusqu’à cet âge : elle ne produit pas de cendres : il est impossible de remettre à la famille l’urne qui doit la consoler. Les croque-morts proposent alors de déposer dans le petit cercueil un objet symbolique. Qui restera ; le plus souvent, c’est un galet marqué de l’initiale de l’enfant.]

Le père : On n’a pas pu faire autrement, fiston, t’étais trop jeune, trop ptit. Une histoire d’os…j’ai pas tout compris. On n’a pas pu faire autrement, c’est tout, faut pas m’en vouloir…
Le fils-caillou : Je t’en veux pas, c’est juste que…
Le père : …ça m’amuse pas plus que ça, dme retrouver avec un caillou…
Le fils-caillou : Moi, ça mva, ça mdérange pas. Me trouve pas mal, comme caillou…mieux que le bambin rabougri et fripé qui passait son temps à brailler, si tu veux mon avis. C’est pour vous, plutôt…
Le père : …mais c’est vrai, t’es pas mal, t’es même mignon. T’es mieux, t’as raison, t’es plus tranquille en tous cas. Tu brailles moins, t’as raison. Y’a même des traces de rose, si on rgarde bien, là, sur le dessus du galet. C’est vrai, t’es plutôt mignon, comme caillou.
Le fils-caillou : Je voulais dire que la difficulté, c’est que moi, j’étais pas un cailloux, voilà, que c’est juste une fable de croque-mort : je me suis pas transmué en galet, moi, ton tout petit, tu vois, papa, pas transformé en rocher, même avec une petite veine de rose….De moi, y’a plus rien. Rien. Pour moi, ça va ; mais pour vous…
Le père : Vais m’y faire. Ta mère aussi, ava s’y faire…du moment que tut’ sens bien comme ça. C’est vrai hein que passer de bébé à caillou, faut supporter, et c’est pas donné à n’importe qui hein, y’en a qui prendrait ça mal, ce genre d’enfantillage. Mais toi, t’as l’air tranquille : minéral, ça te va…
Le fils-caillou : Ce qui me plaît, c’est la forme, tu vois, lisse et arrondie, lourde et dense. Je ne suis pas ce caillou puisque je ne suis plus rien, mais je sais pas pourquoi, ça me plaît, leur histoire. Finalement, c’est une fable qui me plaît : et sur cette pierre…
Le père : …je vais rien bâtir du tout, crois moi. Si ça te fais rien, je vais plutôt te balancer du haut du grand viaduc. Plouf. Plouf le galet, puisque t’aimes ça.
Le fils-caillou : Ça me va. C’est encore mieux : plouf. Et puis je l’aimais bien votre viaduc. Ça me va, plouf ; sous l’eau, on me foutralapaix, je srai sous l’eau, lourd et tranquille…et puis y’a la chute, cool…plouf…
Le père : …plouf…

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