L’autre soir, en levant les filets de deux petits rougets,
couteau long-fin-souple-tranchant, paume de la main très à plat, desarrêtage soigneux,
je me suis dit, très distinctement
(je m’entends encore) :
‘tu es un homme de temps maigre.’
(Très distinctement.)
Stupeur de l’apostrophé.
‘Claude, repris-je, rendu songeur, fauttifaire, tu es un homme du temps desarrêté’.
A l’examen, j’ai trouvé ça très juste, et sans me vanter, bien trouvé, bien dit, suffisamment net en tous cas pour garder la sentence en mémoire et pour revenir l’esprit tranquille à mes précautions de découpage.
Bien dit, poursuivis-je en essuyant sur mon tablier de poète mon fin couteau métaphorique et
bien dit : tu es arrivé à l’arrête du temps, à ce qui reste, ce qui apparaît : mené par notre gourmandise et conduit par notre habilité- tekné, ahlalala, nous sommes des artistes- on a levé les filets et voilà le poisson, voilà l’travail, voilà l’arrête, ichtyocolle et gélatine mises à part, filets écartés.
Bien dit, Claude, bien travaillé,
personne ne revient, rien ni personne, y’a plus qu’l’art, y’a plus qu’l’arrête, ahlalalalarrête.’
Je me disais encore : ‘tiens c’est vrai : c’est irrémédiable, one way fishbone et tout au contraire, il convient d’inverser la perpective histoirique : il y eut d’abord l’arrête, l’arrête qui nage dans l’onde primitive et puis les filets s’agglomèrent sur cet harmonieux squelette nageant de petits éléments fibreux et bien disposés se mettent, qui finissent par faire le tout du poisson ami du pêcheur, la chair, le filet. Voyez le dispositif : les poissons naissent comme ça, sous forme d’arrête, c’est leur être profond, leur être de rouget, et puis et puis les filets de l’expérience viennent se fixer là dessus, fil du temps, fil de l’eau, le filet de poisson…
A la fin, parousie de mes rougets, avènement glorieux de l’arrête rosâtre, fin des temps : les morts-à ce moment, j’ai pensé à ma mère, hi mamma, écoute bien, mamma, écoute la théologie de l’arrête (elle, la mamma, elle dirait : ah ben ça alors, je savais pas que mon fils, il savait lever des filets de rouget…) ne reviennent pas, leur chair engloutie s’est dissoute, rien ni personne, poussière, néant. On les rehausse d’un peu de citron, on savoure, et puis plus rien, plus rien ni personne, et pas ma mère, hi mamma.
On fait maigre.
(voyez l’genre : l’artiste qui fait maigre. Claude, tu fais maigre, et tu fais bien. C’est l’artpo, encore l’artpo, l’artpo de l’arrête des petits rougets)(arrête, c’est fini 🙂
Mais ça n‘empêche, le temps d’arrêt est aussi le temps du style, on n’en fait pas l’économie, du style, jamais. Et par exemple, la tempura de Daurade du restaurant japonais de la rue Greneta, que je mets en photo ici : frites, les arrêtes se recroquevillent jusqu’à former une corbeille dorée et rissolée, impeccablement pratique, contenant contenu, design pour tout dire, stylée, vous voyez bien…
c’est le temps maigre, enfin
le temps mon temps maigre
de la pensée maigre
méagre meager maigre,
un temps de cantine du vendredi maigre
(toujours dans mes divagations, j’en reviens à ce temps du lycée, d’une manière attendrie ou d’une autre plus inquiète : pour ces histoire de filet de poisson en tous cas, me revoilà le vendredi à la cantine de Jacques Decour, temps de maigreur panée, temps étriqué. Et puis ça passe.
Mais attention le temps maigre est un temps de vigile
échiné le temps de fond de gosier le temps de l’arrête qui coince
attentifs et méticuleux à ce que rien ne manque aux squelettes -hi mamma-
une affaire de style maigre, d’arrêtes apparues, révélées,
l’art po maigre l’art po maigre l’art po maigre
Abstinence : filets et bon manger une fois écartés, viande dissoute -la carne!-
il te faut, claude, lever les filets du bon poisson
du monstre blanc pour que te reste le temps maigre
du temps arrêté l’homme du temps qui reste
le temps de l’harpon du long couteau du fin couteau
me reste après tout ça la figure hérissée et simple
du filet-la-vie desarrêtée
voilà à quoi je pensais, en levant les filets de deux petits rougets, l’autre soir, hi mamma.
couteau long-fin-souple-tranchant, paume de la main très à plat, desarrêtage soigneux,
je me suis dit, très distinctement
(je m’entends encore) :
‘tu es un homme de temps maigre.’
(Très distinctement.)
Stupeur de l’apostrophé.
‘Claude, repris-je, rendu songeur, fauttifaire, tu es un homme du temps desarrêté’.
A l’examen, j’ai trouvé ça très juste, et sans me vanter, bien trouvé, bien dit, suffisamment net en tous cas pour garder la sentence en mémoire et pour revenir l’esprit tranquille à mes précautions de découpage.
Bien dit, poursuivis-je en essuyant sur mon tablier de poète mon fin couteau métaphorique et
bien dit : tu es arrivé à l’arrête du temps, à ce qui reste, ce qui apparaît : mené par notre gourmandise et conduit par notre habilité- tekné, ahlalala, nous sommes des artistes- on a levé les filets et voilà le poisson, voilà l’travail, voilà l’arrête, ichtyocolle et gélatine mises à part, filets écartés.
Bien dit, Claude, bien travaillé,
personne ne revient, rien ni personne, y’a plus qu’l’art, y’a plus qu’l’arrête, ahlalalalarrête.’
Je me disais encore : ‘tiens c’est vrai : c’est irrémédiable, one way fishbone et tout au contraire, il convient d’inverser la perpective histoirique : il y eut d’abord l’arrête, l’arrête qui nage dans l’onde primitive et puis les filets s’agglomèrent sur cet harmonieux squelette nageant de petits éléments fibreux et bien disposés se mettent, qui finissent par faire le tout du poisson ami du pêcheur, la chair, le filet. Voyez le dispositif : les poissons naissent comme ça, sous forme d’arrête, c’est leur être profond, leur être de rouget, et puis et puis les filets de l’expérience viennent se fixer là dessus, fil du temps, fil de l’eau, le filet de poisson…
A la fin, parousie de mes rougets, avènement glorieux de l’arrête rosâtre, fin des temps : les morts-à ce moment, j’ai pensé à ma mère, hi mamma, écoute bien, mamma, écoute la théologie de l’arrête (elle, la mamma, elle dirait : ah ben ça alors, je savais pas que mon fils, il savait lever des filets de rouget…) ne reviennent pas, leur chair engloutie s’est dissoute, rien ni personne, poussière, néant. On les rehausse d’un peu de citron, on savoure, et puis plus rien, plus rien ni personne, et pas ma mère, hi mamma.
On fait maigre.
(voyez l’genre : l’artiste qui fait maigre. Claude, tu fais maigre, et tu fais bien. C’est l’artpo, encore l’artpo, l’artpo de l’arrête des petits rougets)(arrête, c’est fini 🙂
Mais ça n‘empêche, le temps d’arrêt est aussi le temps du style, on n’en fait pas l’économie, du style, jamais. Et par exemple, la tempura de Daurade du restaurant japonais de la rue Greneta, que je mets en photo ici : frites, les arrêtes se recroquevillent jusqu’à former une corbeille dorée et rissolée, impeccablement pratique, contenant contenu, design pour tout dire, stylée, vous voyez bien…
c’est le temps maigre, enfin
le temps mon temps maigre
de la pensée maigre
méagre meager maigre,
un temps de cantine du vendredi maigre
(toujours dans mes divagations, j’en reviens à ce temps du lycée, d’une manière attendrie ou d’une autre plus inquiète : pour ces histoire de filet de poisson en tous cas, me revoilà le vendredi à la cantine de Jacques Decour, temps de maigreur panée, temps étriqué. Et puis ça passe.
Mais attention le temps maigre est un temps de vigile
échiné le temps de fond de gosier le temps de l’arrête qui coince
attentifs et méticuleux à ce que rien ne manque aux squelettes -hi mamma-
une affaire de style maigre, d’arrêtes apparues, révélées,
l’art po maigre l’art po maigre l’art po maigre
Abstinence : filets et bon manger une fois écartés, viande dissoute -la carne!-
il te faut, claude, lever les filets du bon poisson
du monstre blanc pour que te reste le temps maigre
du temps arrêté l’homme du temps qui reste
le temps de l’harpon du long couteau du fin couteau
me reste après tout ça la figure hérissée et simple
du filet-la-vie desarrêtée
voilà à quoi je pensais, en levant les filets de deux petits rougets, l’autre soir, hi mamma.