(11 décembre 2006 ; 11heures 30 et en plus, il pleut)
Je prends par la rue Poliveau, sur le trottoir de droite ; la rue est déserte ; il crachine ; je file. Mais je suis gêné par un monticule de cartons, disposés sur des palettes et enveloppés de film plastique transparent. Cette livraison encombrante m’oblige à me faufiler entre arbres et voitures stationnées : je râle et proteste et grommelle mais me dis que ma vengeance est prête, avec ce qui tombe, leurs cartons, vont pas tarder à prendre l’eau, bien fait, on n’a pas idée, aussi, d’une pyramide pareille, qui vous force à passer dans le caniveau (j’exagère ; je râle ; il crachine, et moi aussi). D’un coup d’œil je vérifie l’état des colis : rien, la pluie n’est pas encore passée, rien d’humide encore mais de petites retenues d’eau parfaitement goutantes sont formées sur le haut des piles. La flotte va y couler bientôt, pour emporter finalement l’obstacle, allez hop, tout ça, au caniveau, et leur marchandise : gâtée, ruinée, délitée. Rassuré et déjà vengé, je file ; mais j’ai eu le temps de lire une des étiquettes, vite, en passant, retardé par les voitures et empétré dans mon grand manteau bleu. Ça m’arrête ; il crachine, mais ça m’arrête : je m’abrite sous la terrasse du 18, immeuble récent, et dans mon calepin, je peux prendre le temps de noter : rue Poliveau : cargaison de slips, abandonnée. Chaque carton est ainsi de « ten slips », étiquette sur fond mauve ; il y a là 6 palettes de 24 cartons, que je dénombre, que multiplie ten égale 840 slips. Je suis au sec ; je m’applique au détail : certains cartons sont notés confort plus, ou confort super, ou confort extra, tous portant l’indication : maxi. Je refais mes comptes et ce sont bien 840 de ces confortables culottes qui dérivent dans la rue Poliveau, sans que personne s’en soucie ; pas de boutiques, d’entrepôt atelier ou hangar et ce tas, est il en partance, ou prêt d’être reçu ? Je m’interroge, comme on voit, et poursuit mes questions : un tel trésor appartient il à celui qui le découvre ? Et cette épave, sur la plage naufragée, m’appartient elle ? et à qui d’autres les mille calbards humides ? qui me disputerait le tas considérable mais humecté de slibards mouillés et dégoutants, parfaitement goutants ? Rien, tant mieux, personne (il crachine ) pour réclamer le butin ridicule, allez hop, à l’eau, au caniveau, à la dérive délitante, le millier de slips abandonnés. Ce questionnement amusé, en même temps que l’arithmétique de tout à l’heure, même rapide, me forcent à considérer plus longtemps mon tas de cartons. Je regarde mieux : quelque chose dans la composition de l’étiquette évoque la légèreté, l’envol gracieux, la feuille qu’on détache, la page arrachée. Le tout, éloigné de la bonneterie. La feuille qu’on détache…le papier…je comprends maintenant…j’y suis, plus de doute : c’est du papier, des culottes en papier, des couches, voilà l’affaire, confort plus, confort super, confort extra…des couches qui prennent l’eau, on voit la scène, le monument absurde, le mastaba comique, énorme paquet gorgé de flotte…des couches culottes, taille maxi, pour bien faire…rangées pour être absorbantes comme il faut : j’en rigole, je file et j’en rigole, une pyramide molle et dégoulinante de mille couches culottes imbibées, rue Poliveau, la vie est belle et la grande ville qui rédige de ces adages : trempé tu dois être, trempé tu seras, y’a pas de couches qui tiennent, super ou extra, file, file en rigolant, file en te récitant la fable du Paris ( incontinent perdu) pluvieux où sont échoués mille slips spacieux et néanmoins légers légers. J’en rigole, je file : doit y’avoir une maison de retraite dans le quartier.
Il y a ( vérif. La semaine d’après)