Mardi 26 février 2013, vers onze heures et demi, à Valence dans les rues de la vieille ville, derrière le quartier de la préfecture : je croise, perds, et recroise une femme de quarante à cinquante ans qui erre lentement dans le coin. Je la suis et prends des notes dans les marges de mon journal : elle est vêtue d’un anorak gris clair dégraffé, d’un bonnet à pompon et à oreillettes, d’un pantalon sombre très ajusté et de bottines dont les revers sont cloutés. Elle marche lourdement, traînant les pieds, pliant les genoux ; elle agite au bout du bras droit un sac de plastique jaune et vide. Elle semble tourner en rond, sans destination précise ; elle parle à voix haute, éraillée, mais distincte : des phrases courtes, coq à l’ânesques, que je ne parviens pas à comprendre. Place de la Juiverie, elle s’arrête un long moment à regarder la vitrine d’un marchand de vêtements d’occasion ; je m’approche ; j’entends mieux : ‘…on est des gitans, c’est le mot…’ Elle détache le dernier mot en faisant traîner sa prononciation. Puis elle se retourne, marque un temps, me regarde fixement (grands yeux noirs et fatigués) et dit : ‘hein, ça va pas. Hein, on dirait pas…’ Je m’éloigne.