pour une théorie du corset (le cas Melville)

La mère de Melville portait un corset
(Une femme au corset est un mensonge ; c’est une mère inventée, s’écrie le romancier fétichiste, emballé par quelque souv’nir d’enfance, quelque souvenance ou quelque songe.) 
Comment imaginer, en effet, un romancier dont l’enfance n’a pas été intriguée par les corsets d’une mère coquette et bien tenue ? Corset, busc, baleine, libido enfantine, c’est toujours la même histoire où la volupté magliminale, puérile et indescriptible des débuts fait place à un amour aux traits plus précis, aux lignes plus nettes qui dessinent bientôt une mère nouvelle, révélée par les artifices du maintien, dont la silhouette pittoresque se découpe à jamais sur l’arrière plan indistinct de notre enfance. Mais le romancier débutant comprend bientôt, au spectacle de sa mère corsetée, qu’elle fait à d’autres (à son père, si ça s’trouve), par le seul moyen du débondage et du délacement, le récit de ses caresses et de sa vie véritable. C’est ainsi que, 
dans la gaine de moman, 
y’avait tout son roman. 


tout ton roman
pom pom plan plan
dans la gaine de moman


Mais mais mais 
y’a pas qu’le corset 
dans la vie des jeunes artistes. 
Ah bon ? Ah ça mais !
Y’a aussi la chemise de nuit. 
Ah bon ? Racontez moi ça. Je crois que je vais être d’accord, mais racontez moi ça, les chemises de nuit de nos mères, pour mes notes, pour mon roman, pom pom plan plan. 

Le corset est donc un dessin, on vient de le voir. Une intention mensongère, un trait (d’esprit.) D’accord, une fiction. 
Oui. Mais c’est la chemise de nuit de nos mères qui a fait le tableau. 
Ah bon ? 
Et qui constitue le jeune spectateur, par la même occasion. Observez bien : nos endormissements d’enfant sont difficiles et on tousse ; elles se lèvent. 
C’est vrai, j’me souviens, ça se passe comme ça exactement : on tousse, et elles se lèvent. Ça manque jamais, chères momans, pom pom plan plan de nos romans, plan de nos romans.
Elles sont lasses et ébouriffées, dégrafées. Pour nos pères allez savoir, elles ont quitté leurs corsets ; leurs chemises sont ouvertes ; elles se penchent sur leur enfant dont elles craignent qu’il s’étouffe encore une fois : un coup d’oeil donne alors au jeune malade avisé le sens de la perspective et au tableau sa profondeur. Le point de fuite est presque toujours situé sous la chemise de la maman entrebâillée. 
La chère dérobade… Expérience volée, où nous a été donné un point de vue sur l’amour. 
Une perspective intéressante, c’est sûr. 
La première, notre merveilleux quattrocento. Sans la perspective camisolesque on ne voit rien, parce qu’on n’est même pas spectateur. Enfant, c’est pareil : on est là, bon, mais on ne voit rien, y’a pas d’histoire, pas de tableau, tout est informe, ou plat, et surtout notre amour. Mais il suffit d’un regard et c’est un tableau en perspective. 
Ou un roman. 
Pom pom plan plan, bien sûr. D’un coup d’oeil le monde a repris la profondeur qu’il fallait. En donnant une direction à notre regard, ces chemises de nuit entr’ouvertes ont permis la découverte d’arrière plans où nos émois ont pu se fixer : c’est le sentier qu’on voit dans le fond de nos tableaux anciens, les collines escarpées de nos amours à-venir ; on chemine, on divague enfin ; nous voilà spectateurs de notre amour. 
Enfin. Heureux asthmatiques. 
Naissance de l’érotisme, théorie des corsets dessinés, tableaux entrebâillés, roman en perspective, charabia libidineux, c’est toujours la même histoire. 
Et si on ajoute à ça leur parfum…
Ah! Si on arrive à se souv’nir de leur parfum, l’houbigant mémorial, alors là…c’est complet. 
Parfum fiole chemise de nuit roman c’est encore la même histoire, camisoles ajourées, sombres perspectives, arrières pays lointains.

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