l’homme au pull over rouge

Un homme vêtu d’un pull over rouge téléphonait à une femme qu’il connaissait mal et dont il n’aurait su dire si elle l’aimait ou non. On n’arrive à rien au téléphone dans ces cas là, c’est une affaire d’électricité, anode cathode, mais l’homme se disait que seul un paradoxe pratique pouvait l’aider à tenir debout, au moins quelques heures, le temps de la conversation téléphonique, le temps qu’apparaissent les preuves compactes nées autour de l’anode d’un amour électrique, le paradoxe n’ayant ensuite qu’à se dissoudre dans les gaz toxiques favorisés par l’expérience, qui se forment habituellement à la cathode (voir travaux pratiques.) Il essayait d’en savoir plus, s’agitait, et devenait suppliant, ce qui renforçait désagréablement les dégagements gazeux. Une fois, il s’était coupé une phalange quand une femme dont il n’arrivait pas à dire si elle l’aimait ou non avait raccroché au milieu d’un soupir. Dès qu’elle avait raccroché, il s’était mutilé, non pas par protestation formelle, il ne croyait pas au remord des âmes criminelles, mais pour se réveiller, pour se mettre dans la situation de n’être plus piégé. Et puis, voyez-vous, il aimait le rouge, comme on a vu au début. Depuis cette aventure, une joie puissante illuminait son visage à chaque soupir, il se préparait à quelque chose, il dominait la situation et faisait de sa voix bi-convexe une sort de boomerang dangereux qui préparait un festin cannibale : c’était sa conception de l’amour. Une voix de cannibale soupirait il, je vais la dévorer, totem, farce, boomerang, ma chère phalange, totem, joie, quelle maîtrise, quelle joie, quelle phalange. Tant, que ça l’éreintait bientôt. Il se passait alors la main sur le front, il suppliait, et, pour se plaindre, décrochait le téléphone ; les gaz toxiques de la vie et de l’expérience lucide commençaient alors à se répandre ; il étouffait. Il raccrocha trop tard ; il mourut.



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